- MAZARIN (J.)
- MAZARIN (J.)Si Mazarin occupe dans l’histoire de la France et dans celle de l’Europe une place si importante, c’est qu’il a poursuivi et même couronné l’œuvre de Richelieu. Grâce à lui, les effets d’une continuité, rare dans la vie politique nationale, se sont fait sentir, à l’intérieur par le triomphe de l’absolutisme, à l’extérieur par l’abaissement de la Maison d’Autriche et la prépondérance française. Ces résultats ont été acquis au cours d’un ministère de moins de vingt ans. Pourtant, à l’avènement de Louis XIV, la situation est inquiétante. La guerre «ouverte» dure depuis huit ans. Les congrès de paix ne sont pas encore réunis. Surtout une longue minorité commence, propice aux agitations et aux révoltes. Et c’est à un étranger qu’est confié le gouvernement. Mais cet Italien, qui devait accroître le royaume de «quatre nations» (Pignerol, Alsace, Cerdagne-Roussillon et villes des Pays-Bas espagnols), allait se révéler l’un des artisans les plus résolus de la grandeur française.Un homme secretLa personnalité de Jules Mazarin est difficile à connaître. Il n’a pas donné la clé de son caractère, moins par discrétion ou par calcul que par goût de l’action. Pris par les affaires qu’il traite, il ne songe pas à s’analyser lui-même. On ne le découvre que par échappées. Pour forcer le mystère, il faut recourir à des témoins non prévenus (et Dieu sait si Mazarin a eu des ennemis!) et aux milieux qui l’ont formé. Au physique, «bel homme ... œil vif et d’esprit», un visage doux, avec, parfois, des lueurs de tristesse. Intellectuellement, les dons les plus rares: il comprend, retient et pressent tout. Moralement, un courage que rien n’amollit mais aussi de la modestie dans le triomphe. À la rude école de la Curie, il a dû plier une nature, au départ indépendante, et pratiquer, comme tant d’autres là-bas, la dissimulation. Rome lui a encore enseigné les manœuvres obliques, la souplesse, l’art du compromis mais aussi le sens de l’humain, tandis qu’au contact de Richelieu, il a su le prix des décisions rapides et fortes. Aucun de ses adversaires n’a la même puissance de travail, la même constance dans l’effort, la même ampleur de vues. Hélas! ces qualités hors de pair sont gâtées par une avarice qu’il n’a jamais cherché à réprimer. Il ne peut résister à l’appât du gain. Cupide, il l’est d’ailleurs moins pour thésauriser que pour satisfaire des goûts fastueux qui furent longtemps au-dessus de ses moyens. Car, pour ses propres affaires, il est fort négligent. S’il laisse en mourant des millions, c’est grâce à l’habile gestion de Colbert. Encore faut-il noter que la fortune de Mazarin (dont plus d’un tiers prêté au roi ne fut jamais rendu) était, en réalité, précaire. Entamée largement par les dispositions testamentaires du cardinal, elle s’amenuisa très vite entre les mains des héritiers.L’homme d’ÉtatLe triomphe de l’absolutisme«L’autorité du Roy, c’est le repos de l’État.» Cette autorité, les esprits les plus clairvoyants jugent alors qu’elle doit être absolue. Une souveraineté pleine et entière peut, seule, faire prévaloir l’intérêt général et juguler les féodalités renaissantes. L’obéissance au roi est gage de la paix publique. Pour le bien du royaume, Mazarin, qui «pleure des larmes de sang» sur les déchirements intérieurs, considère que le premier de ses devoirs est de sauvegarder l’absolutisme. Louis XIV doit être aussi puissant que l’a été son père. Mais, tant qu’il n’est pas majeur, sa responsabilité est plus théorique que réelle. C’est le drame de Mazarin de ne pouvoir, en fait, s’abriter, durant la minorité, derrière la volonté du roi pour faire face aux mécontents. Il est tenu pour l’auteur des décisions impopulaires. Sous la Fronde, lorsque le roi quitte sa capitale, c’est au cardinal qu’on reproche de remettre en cause, par ce départ, les accords conclus avec le Parlement et qui affaiblissaient le pouvoir royal. Dès lors Mazarin devient l’ennemi public. On respecte le souverain mais on attaque le ministre. Impavide sous les outrages, Mazarin se refuse à toute polémique qui rejaillirait sur le roi. Vaincu un moment par le nombre, exilé, attaqué dans son honneur et même dans sa dignité cardinalice, il ne désespère pas et reste fidèle à son maître. S’il finit par l’emporter, c’est grâce à une vigilance de tous les instants, à un réseau remarquable d’informations dont il dégage toujours l’essentiel, le fait révélateur, de même qu’à une connaissance si étendue des êtres et des choses qu’il peut, de loin, diriger les affaires et conseiller la reine (qu’il n’a, soit dit en passant, jamais épousée). Il sait ainsi que des ambitieux exploitent les mécontentements mais que ces opposants se jalousent et que leurs intérêts divergent. Or «ce que l’intérêt a uni, l’intérêt peut le désunir». Il négocie donc sans cesse pour diviser ses adversaires. Surtout il est évident pour lui que le sort de l’absolutisme et celui du ministériat sont liés. Refuser au souverain le droit de gouverner avec les moyens et les gens de son choix, c’est le priver d’une de ses principales prérogatives. Le roi et son ministre doivent se sauver ou périr ensemble. La majorité de Louis XIV renverse d’ailleurs la situation et constitue une date clé dans l’histoire du ministère de Mazarin. Le roi est désormais reconnu pour le maître qui inspire la politique et impose sa volonté. Mais le triomphe de l’absolutisme est celui de Mazarin et de son «habile conduite».L’arbitre de l’EuropeMazarin n’a pu donner sa mesure en temps de paix car les hostilités ont duré pendant tout son ministère, ou presque. Quand il arrive au pouvoir, l’Allemagne, les Pays-Bas, le Milanais, la Catalogne, le Portugal servent déjà de champ de bataille. Lui-même ouvre un nouveau front sur les rives de Toscane et se voit contraint d’intervenir à Naples, obligeant ainsi les Espagnols à disperser leurs forces. De longues opérations, coûteuses en hommes et en armement, sont engagées en vue de conquérir des positions stratégiques. Les grandes victoires qui jalonnent la régence (Rocroy 1643, Fribourg 1644, Nordlingen 1645, Lens 1648) portent des coups décisifs à l’empereur qui se résigne à la paix. Mais la France, affaiblie par la Fronde, doit poursuivre la lutte contre l’Espagne. Elle ne parvient pas à terminer un conflit qui s’éternise. Bien que l’ennemi soit épuisé lui aussi, elle doit recourir à l’alliance anglaise. La bataille des Dunes (1658) permet enfin d’ouvrir les négociations de l’île des Faisans. Dans ces succès militaires, Mazarin a une large part. Il a poursuivi la guerre malgré la lassitude des populations et un fort courant pacifiste. Il a veillé journellement au sort des armées. En inspirant de très près l’action du secrétaire d’État Michel Le Tellier, en dressant des plans de campagne, en choisissant les généraux, en stimulant les chefs de guerre, il a été l’âme du combat.Le génie diplomatique de Mazarin s’est révélé, vers 1630, au cours des négociations concernant la succession de Mantoue. Depuis lors, au service du pape ou de la France, il a été en contact avec les plus grands personnages du temps, de telle sorte qu’il a pu connaître des affaires européennes les plus importantes. Ce savoir et cette expérience lui ont permis, par la suite, de conduire avec maîtrise les tractations qui ont décidé de la paix avec l’Empire puis avec l’Espagne. Que ce soit durant les congrès de Westphalie (1644-1648) ou les conférences de l’île des Faisans (1659), il a fait montre de réalisme et de modération. Il n’a pas voulu écraser l’adversaire mais le contenir. En modifiant l’équilibre européen, il cherche à faire œuvre durable. Ce n’est pas qu’à l’occasion il ait négligé la manière forte. L’expédition contre les présides de Toscane tient de la campagne d’intimidation à l’égard du pape. Si l’empereur, en 1648, ne s’était décidé à la paix, Mazarin était prêt à la lui imposer. Mais il préfère le réalisme à la force. La cession de Dunkerque, si douloureuse qu’elle soit, est le prix de l’alliance avec Cromwell. Seul Madrid a joué Mazarin en lui proposant l’échange fallacieux de la Catalogne contre les Pays-Bas espagnols. Il en est résulté entre les couronnes une suspicion, longtemps insurmontable, et qui a retardé la paix des Pyrénées. Mais cet «illustre chef-d’œuvre» a fait de Mazarin l’arbitre de l’Europe.Le collectionneurMazarin n’a pas été à proprement parler un mécène. S’il a donné une impulsion aux arts (spécialement dans le domaine musical afin de révéler au public français le style vocal en honneur en Italie), il l’a fait au nom du roi, désirant ne pas encourir le reproche de se substituer à son maître. Mais il a été un collectionneur passionné, par nécessité, pour meubler ses palais; par goût du faste, pour rassembler des objets précieux et rares; par jeu, pour se procurer de belles pièces «au moindre prix». Des correspondants de tous les pays lui ont signalé les achats intéressants. Il a envoyé des hommes de confiance lorsque les acquisitions en valaient la peine. L’Italie, Rome en particulier, lui a fourni des caisses entières de meubles, antiques et tableaux. Surtout il a été le premier en France à posséder autant de «chinoiseries», c’est-à-dire des curiosités importées par la Hollande de l’Extrême-Orient (Empire céleste ou Japon). Amasseur encore plus qu’amateur, séduit trop souvent par la «belle apparence» plutôt que par la qualité, Mazarin a néanmoins joué un rôle important, quoique difficilement décelable, dans l’histoire des arts par l’influence qu’il a exercée sur la formation des goûts de Louis XIV.Mazarin vaut mieux que sa réputation. Sa mémoire a souffert des relents de la xénophobie dont il avait été victime de son vivant. Pourtant, rarement carrière personnelle aura été, en dépit des traverses, si réussie et si féconde. Rarement l’action politique aura laissé une empreinte aussi durable. Et l’histoire se doit de juger l’homme à son œuvre.
Encyclopédie Universelle. 2012.